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intercalons d’autres points, croyant serrer ainsi de plus près ce qu’il y a de mobilité dans le mouvement. Puis, comme la mobilité nous échappe encore, nous substituons à un nombre fini et arrêté de points un nombre « indéfiniment croissant », — essayant ainsi, mais en vain, de contrefaire, par le mouvement de notre pensée qui poursuit indéfiniment l’addition des points aux points, le mouvement réel et indivisé du mobile. Finalement, nous disons que le mouvement se compose de points, mais qu’il comprend, en outre, le passage obscur, mystérieux, d’une position à la position suivante. Comme si l’obscurité ne venait pas tout entière de ce qu’on a supposé l’immobilité plus claire que la mobilité, l’arrêt antérieur au mouvement ! Comme si le mystère ne tenait pas à ce qu’on prétend aller des arrêts au mouvement par voie de composition, ce qui est impossible, alors qu’on passe sans peine du mouvement au ralentissement et à l’immobilité ! Vous avez cherché la signification du poème dans la forme des lettres qui le composent, vous avez cru qu’en considérant un nombre croissant de lettres vous étreindriez enfin la signification qui fuit toujours, et en désespoir de cause, voyant qu’il ne servait à rien de chercher une partie du sens dans chacune des lettres, vous avez supposé qu’entre chaque lettre et la suivante se logeait le fragment cherché du sens mystérieux ! Mais les lettres, encore une fois, ne sont pas des parties de la chose, ce sont des éléments du symbole. Les positions du mobile, encore une fois, ne sont pas des parties du mouvement : elles sont des points de l’espace qui est censé sous-tendre le mouvement. Cet espace immobile et vide, simplement conçu, jamais perçu, a tout juste la valeur d’un symbole. Comment, en manipulant des symboles, fabriqueriez-vous de la réalité ?

Mais le symbole répond ici aux habitudes les plus invé-