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prendre, pour un profit à retirer, enfin pour un intérêt à satisfaire. Nous cherchons jusqu’à quel point l’objet à connaître est ceci ou cela, dans quel genre connu il rentre, quelle espèce d’action, de démarche ou d’attitude il devrait nous suggérer. Ces diverses actions et attitudes possibles sont autant de directions conceptuelles de notre pensée, déterminées une fois pour toutes ; il ne reste plus qu’à les suivre ; en cela consiste précisément l’application des concepts aux choses. Essayer un concept à un objet, c’est demander à l’objet ce que nous avons à faire de lui, ce qu’il peut faire pour nous. Coller sur un objet l’étiquette d’un concept, c’est marquer en termes précis le genre d’action ou d’attitude que l’objet devra nous suggérer. Toute connaissance proprement dite est donc orientée dans une certaine direction ou prise d’un certain point de vue. Il est vrai que notre intérêt est souvent complexe. Et c’est pourquoi il nous arrive d’orienter dans plusieurs directions successives notre connaissance du même objet et de faire varier sur lui les points de vue. En cela consiste, au sens usuel de ces termes, une connaissance « large » et « compréhensive » de l’objet : l’objet est ramené alors, non pas à un concept unique, mais à plusieurs concepts dont il est censé « participer ». Comment participe-t-il de tous ces concepts à la fois ? c’est là une question qui n’importe pas à la pratique et qu’on n’a pas à se poser. Il est donc naturel, il est donc légitime que nous procédions par juxtaposition et dosage de concepts dans la vie courante : aucune difficulté philosophique ne naîtra de là, puisque, par convention tacite, nous nous abstiendrons de philosopher. Mais transporter ce modus operandi à la philosophie, aller, ici encore, des concepts à la chose, utiliser, pour la connaissance désintéressée d’un objet qu’on vise cette fois à atteindre en lui-même, une manière de connaître