Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perception, une solidification en vue de la pratique ; — et si nous pouvions montrer, d’autre part, que ce qui a été pris par Kant pour le temps lui-même est un temps qui ne coule ni ne change ni ne dure ; — alors, pour se soustraire à des contradictions comme celles que Zénon a signalées et pour dégager notre connaissance journalière de la relativité dont Kant la croyait frappée, il n’y aurait pas à sortir du temps (nous n’en sommes que trop sortis !), il n’y aurait pas à se dégager du changement (nous ne nous en sommes que trop dégagés !), il faudrait, au contraire, ressaisir le changement et la durée dans leur mobilité originelle. Alors, non seulement nous ne verrions pas seulement tomber une à une bien des difficultés et s’évanouir plus d’un problème : par l’extension et la revivification de notre faculté de percevoir, peut-être aussi (mais il n’est pas question pour le moment de s’élever à de telles hauteurs) par un prolongement que donneront à l’intuition des âmes privilégiées, nous rétablirions la continuité dans l’ensemble de nos connaissances — continuité qui ne serait plus hypothétique et construite, mais expérimentée et vécue. Un travail de ce genre est-il possible ? C’est ce que nous chercherons ensemble, au moins pour ce qui concerne la connaissance de notre entourage, dans notre prochaine conférence.


Deuxième conférence

Vous m’avez prêté hier une attention si soutenue que vous ne devrez pas vous étonner si je suis tenté d’en abuser aujourd’hui. Je vais vous demander de faire un effort violent pour écarter quelques-uns des schémas artificiels que nous interposons, à notre insu, entre la réalité et nous. Il s’agit de rompre avec certaines habitudes de penser et de percevoir qui nous sont devenues naturelles. Il faut revenir à la percep-