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vant les données habituelles de nos sens et de notre conscience nous aboutissons, dans l’ordre de la spéculation, à des contradictions insolubles, ils ont conclu de là que la contradiction était inhérente au changement lui-même et que, pour se soustraire à cette contradiction, il fallait sortir de la sphère du changement et s’élever au-dessus du Temps. Tel est le fond de la pensée des métaphysiciens, comme aussi de ceux qui, avec Kant, nient la possibilité de la métaphysique.

La métaphysique est née, en effet, des arguments de Zénon d’Élée relatifs au changement et au mouvement. C’est Zénon qui, en attirant l’attention sur l’absurdité de ce qu’il appelait mouvement et changement, amena les philosophes — Platon tout le premier — à chercher la réalité cohérente et vraie dans ce qui ne change pas. Et c’est parce que Kant crut que nos sens et notre conscience s’exercent effectivement dans un Temps véritable, je veux dire dans un Temps qui change sans cesse, dans une durée qui dure, c’est parce que, d’autre part, il se rendait compte de la relativité des données usuelles de nos sens et de notre conscience (arrêtée d’ailleurs par lui bien avant le terme transcendant de son effort) qu’il jugea la métaphysique impossible sans une vision tout autre que celle des sens et de la conscience, — vision dont il ne trouvait d’ailleurs aucune trace chez l’homme.

Mais si nous pouvions établir que ce qui a été considéré comme du mouvement et du changement par Zénon d’abord, puis par les métaphysiciens en général, n’est ni du changement ni du mouvement, qu’ils ont retenu du changement ce qui ne change pas et du mouvement ce qui ne se meut pas, qu’ils ont pris pour une perception immédiate et complète du mouvement et du changement une cristallisation de cette