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pour la philosophie ! N’est-il pas évident que, si le savant s’arrête en un certain point sur la voie de la généralisation et de la synthèse, là s’arrête ce que l’expérience objective et le raisonnement sûr nous permettent d’avancer ? Et dès lors, en prétendant aller plus loin dans la même direction, ne nous placerions-nous pas systématiquement dans l’arbitraire ou tout au moins dans l’hypothétique ? Faire de la philosophie un ensemble de généralités qui dépasse la généralisation scientifique, c’est vouloir que le philosophe se contente du plausible et que la probabilité lui suffise. Je sais bien que, pour la plupart de ceux qui suivent de loin nos discussions, notre domaine est en effet celui du simple possible, tout au plus celui du probable ; volontiers ils diraient que la philosophie commence là où la certitude finit. Mais qui de nous voudrait d’une pareille situation pour la philosophie ? Sans doute, tout n’est pas également vérifié ni vérifiable dans ce qu’une philosophie nous apporte, et il est de l’essence de la méthode philosophique d’exiger qu’à bien des moments, sur bien des points, l’esprit accepte des risques. Mais le philosophe ne court ces risques que parce qu’il a contracté une assurance, et parce qu’il y a des choses dont il se sent inébranlablement certain. Il nous en rendra certains à notre tour dans la mesure où il saura nous communiquer l’intuition où il puise sa force.

La vérité est que la philosophie n’est pas une synthèse des sciences particulières, et que si elle se place souvent sur le terrain de la science, si elle embrasse parfois dans une vision plus simple les objets dont la science s’occupe, ce n’est pas en intensifiant la science, ce n’est pas en portant les résultats de la science à un plus haut degré de généralité. Il n’y aurait pas place pour deux manières de connaître, philosophie et science, si l’expérience ne se présentait à