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durée et la vie intérieure que nous présentâmes dans ce premier travail. Notre initiation à la vraie méthode philosophique date du jour où nous rejetâmes les solutions verbales, ayant trouvé dans la vie intérieure un premier champ d’expérience. Tout progrès fut ensuite un agrandissement de ce champ. Étendre logiquement une conclusion, l’appliquer à d’autres objets sans avoir réellement élargi le cercle de ses investigations, est une inclination naturelle à l’esprit humain, mais à laquelle il ne faut jamais céder. La philosophie s’y abandonne naïvement quand elle est dialectique pure, c’est-à-dire tentative pour construire une métaphysique avec les connaissances rudimentaires qu’on trouve emmagasinées dans le langage. Elle continue à le faire quand elle érige certaines conclusions tirées de certains faits en « principes généraux » applicables au reste des choses. Contre cette manière de philosopher toute notre activité philosophique fut une protestation. Nous avions ainsi dû laisser de côté des questions importantes, auxquelles nous aurions facilement donné un simulacre de réponse en prolongeant jusqu’à elles les résultats de nos précédents travaux. Nous ne répondrons à telle ou telle d’entre elles que s’il nous est concédé le temps et la force de la résoudre en elle-même, pour elle-même. Sinon, reconnaissant à notre méthode de nous avoir donné ce que nous croyons être la solution précise de quelques problèmes, constatant que nous ne pouvons, quant à nous, en tirer davantage, nous en resterons là. On n’est jamais tenu de faire un livre[1].

Janvier 1922.
 
  1. Cet essai a été terminé en 1922. Nous y avons simplement ajouté quelques pages relatives aux théories physiques actuelles. À cette date, nous n’étions pas encore en possession complète des résultats que nous avons exposés dans notre récent ouvrage : Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, 1932. Ceci expliquera les dernières lignes du présent essai.