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que nous percevons virtuellement beaucoup plus de choses que nous n’en percevons actuellement, et qu’ici encore le rôle de notre corps est d’écarter de la conscience tout ce qui ne nous serait d’aucun intérêt pratique, tout ce qui ne se prête pas à notre action. Les organes des sens, les nerfs sensitifs, les centres cérébraux canalisent donc les influences du dehors, et marquent ainsi les directions où notre propre influence pourra s’exercer. Mais, par là, ils limitent notre vision du présent, de même que les mécanismes cérébraux de la mémoire resserrent notre vision du passé. Or, si certains souvenirs inutiles, ou souvenirs « de rêve », réussissent à se glisser à l’intérieur de la conscience, profitant d’un moment d’inattention à la vie, ne pourrait-il pas y avoir, autour de notre perception normale, une frange de perceptions le plus souvent inconscientes, mais toutes prêtes à entrer dans la conscience, et s’y introduisant en effet dans certains cas exceptionnels ou chez certains sujets prédisposés ? S’il y a des perceptions de ce genre, elles ne relèvent pas seulement de la psychologie classique : sur elles la « recherche psychique » devrait s’exercer.

N’oublions pas, d’ailleurs, que l’espace est ce qui crée les divisions nettes. Nos corps sont extérieurs les uns aux autres dans l’espace ; et nos consciences, en tant qu’attachées à ces corps, sont séparées par des intervalles. Mais si elles n’adhèrent au corps que par une partie d’elles-mêmes, il est permis de conjecturer, pour le reste, un empiétement réciproque. Entre les diverses consciences pourraient s’accomplir à chaque instant des échanges, comparables aux phénomènes d’endosmose. Si cette inter-communication existe, la nature aura pris ses précau-