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qu’ils disent. » Ou bien encore il serait comme la personne qui ne perçoit, d’une symphonie, que les mouvements du bâton du chef d’orchestre. Les phénomènes cérébraux sont en effet à la vie mentale ce que les gestes du chef d’orchestre sont à la symphonie : ils en dessinent les articulations motrices, ils ne font pas autre chose. On ne trouverait donc rien des opérations supérieures de l’esprit à l’intérieur de l’écorce cérébrale. Le cerveau, en dehors de ses fonctions sensorielles, n’a d’autre rôle que de mimer, au sens le plus large du terme, la vie mentale.

Je reconnais d’ailleurs que cette mimique est de première importance. C’est par elle que nous nous insérons dans la réalité, que nous nous y adaptons, que nous répondons aux sollicitations des circonstances par des actions appropriées. Si la conscience n’est pas une fonction du cerveau, du moins le cerveau maintient-il la conscience fixée sur le monde où nous vivons ; c’est l’organe de l’attention à la vie. Aussi une modification cérébrale légère, une intoxication passagère par l’alcool ou l’opium par exemple — à plus forte raison une de ces intoxications durables par lesquelles s’explique sans doute le plus souvent l’aliénation — peuvent-elles entraîner une perturbation complète de la vie mentale. Ce n’est pas que l’esprit soit atteint directement. Il ne faut pas croire, comme on le fait souvent, que le poison soit allé chercher dans l’écorce cérébrale un certain mécanisme qui serait l’aspect matériel d’un certain raisonnement, qu’il ait dérangé ce mécanisme et que ce soit pour cela que le malade divague. Mais l’effet de la lésion est de fausser l’engrenage, et de faire que la pensée ne s’insère plus exacte-