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ment, le rôle du cerveau est de faire que l’esprit, quand il a besoin d’un souvenir, puisse obtenir du corps l’attitude ou le mouvement naissant qui présente au souvenir cherché un cadre approprié. Si le cadre est là, le souvenir viendra, de lui-même, s’y insérer. L’organe cérébral prépare le cadre, il ne fournit pas le souvenir. Voilà ce que nous apprennent les maladies de la mémoire des mots, et ce que ferait d’ailleurs pressentir l’analyse psychologique de la mémoire.

Que si nous passons aux autres fonctions de la pensée, l’hypothèse que les faits nous suggèrent d’abord n’est pas celle d’un parallélisme rigoureux entre la vie mentale et la vie cérébrale. Dans le travail de la pensée en général, comme dans l’opération de la mémoire, le cerveau apparaît simplement comme chargé d’imprimer au corps les mouvements et les attitudes qui jouent ce que l’esprit pense ou ce que les circonstances l’invitent à penser, C’est ce que j’ai exprimé ailleurs en disant que le cerveau est un « organe de pantomime ». J’ajoutais : « Celui qui pourrait regarder à l’intérieur d’un cerveau en pleine activité, suivre le va-et-vient des atomes et interpréter tout ce qu’ils font, celui-là saurait sans doute quelque chose de ce qui se passe dans l’esprit, mais il n’en saurait que peu de chose. Il en connaîtrait tout juste ce qui est exprimable en gestes, attitudes et mouvements du corps, ce que l’état d’âme contient d’action en voie d’accomplissement, ou simplement naissante : le reste lui échapperait. Il se trouverait, vis-à-vis des pensées et des sentiments qui se déroulent à l’intérieur de la conscience, dans la situation du spectateur qui voit distinctement tout ce que les acteurs font sur la scène, mais n’entend pas un mot de ce