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Bien au contraire, elle l’a rétréci sur plus d’un point ; et c’est d’ailleurs ce qui a fait sa force. Les anciens avaient beaucoup observé, et même expérimenté. Mais ils observaient au hasard, dans n’importe quelle direction. En quoi consista la création de la « méthode expérimentale » ? À prendre des procédés d’observation et d’expérimentation qu’on pratiquait déjà, et, plutôt que de les appliquer dans toutes les directions possibles, à les faire converger sur un seul point, la mesure— la mesure de telle ou telle grandeur variable qu’on soupçonnait être fonction de telles ou telles autres grandeurs variables, également à mesurer. La « loi », au sens moderne du mot, est justement l’expression d’une relation constante entre des grandeurs qui varient. La science moderne est donc fille des mathématiques ; elle est née le jour où l’algèbre eut acquis assez de force et de souplesse pour enlacer la réalité et la prendre dans le filet de ses calculs. D’abord parurent l’astronomie et la mécanique, sous la forme mathématique que les modernes leur ont donnée. Puis se développa la physique — une physique également mathématique. La physique suscita la chimie, elle aussi fondée sur des mesures, sur des comparaisons de poids et de volumes. Après la chimie vint la biologie, qui, sans doute, n’a pas encore la forme mathématique et n’est pas près de l’avoir, mais qui n’en voudrait pas moins, par l’intermédiaire de la physiologie, ramener les lois de la vie à celles de la chimie et de la physique, c’est-à-dire, indirectement, de la mécanique. De sorte qu’en définitive notre science tend toujours au mathématique, comme à un idéal : elle vise essentiellement à mesurer ; et là où le calcul n’est pas encore appli-