Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ceux qui nient l’immortalité pour des raisons tirées de l’essence hypothétique de l’âme ou du corps, ce serait presque le cas de dire, en détournant de son sens le mot de Pascal, que toute la philosophie ne vaut pas une heure de peine. Certes, l’immortalité elle-même ne peut pas être prouvée expérimentalement : toute expérience porte sur une durée limitée ; et quand la religion parle d’immortalité, elle fait appel à la révélation. Mais ce serait quelque chose, ce serait beaucoup que de pouvoir établir, sur le terrain de l’expérience, la possibilité et même la probabilité de la survivance pour un temps x : on laisserait en dehors du domaine de la philosophie la question de savoir si ce temps est ou n’est pas illimité. Or, réduit à ces proportions plus modestes, le problème philosophique de la destinée de l’âme ne m’apparaît pas du tout comme insoluble. Voici un cerveau qui travaille. Voilà une conscience qui sent, qui pense et qui veut. Si le travail du cerveau correspondait à la totalité de la conscience, s’il y avait équivalence entre le cérébral et le mental, la conscience pourrait suivre les destinées du cerveau et la mort être la fin de tout : du moins l’expérience ne dirait-elle pas le contraire, et le philosophe qui affirme la survivance serait-il réduit à appuyer sa thèse sur quelque construction métaphysique — chose généralement fragile. Mais si, comme nous avons essayé de le montrer, la vie mentale déborde la vie cérébrale, si le cerveau se borne à traduire en mouvements une petite partie de ce qui se passe dans la conscience, alors la survivance devient si vraisemblable que l’obligation de la preuve incombera à celui qui nie, bien plutôt qu’à celui qui affirme ; car l’unique raison de croire à une extinction de la conscience après la mort est qu’on voit le corps