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son chemin, fait une pause ou revient sur elle-même : telle, la chaleur surgit dans la balle qui rencontre l’obstacle. Mais, pas plus que la chaleur ne préexistait dans la balle, l’idée ne faisait partie intégrante de la pensée. Essayez, par exemple, en mettant bout à bout les idées de chaleur, de production, de balle, et en intercalant les idées d’intériorité et de réflexion impliquées dans les mots « dans » et « soi », de reconstituer la pensée que je viens d’exprimer par cette phrase ; « la chaleur se produit dans la balle ». Vous verrez que c’est impossible, que la pensée était un mouvement indivisible, et que les idées correspondant à chacun des mots sont simplement les représentations qui surgiraient dans l’esprit à chaque instant du mouvement de la pensée si la pensée s’arrêtait ; mais elle ne s’arrête pas. Laissez donc de côté les reconstructions artificielles de la pensée ; considérez la pensée même ; vous y trouverez moins des états que des directions, et vous verrez qu’elle est essentiellement un changement continuel et continu de direction intérieure, lequel tend sans cesse à se traduire par des changements de direction extérieure, je veux dire par des actions et des gestes capables de dessiner dans l’espace et d’exprimer métaphoriquement, en quelque sorte, les allées et venues de l’esprit. De ces mouvements esquissés, ou même simplement préparés, nous ne nous apercevons pas, le plus souvent, parce que nous n’avons aucun intérêt à les connaître ; mais force nous est bien de les remarquer quand nous serrons de près notre pensée pour la saisir toute vivante et pour la faire passer, vivante encore, dans l’âme d’autrui. Les mots auront beau alors être choisis comme il faut, ils ne diront pas ce que