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bien, qu’un état d’âme quelconque puisse correspondre à un état cérébral donné : posez le cadre, vous n’y placerez pas n’importe quel tableau : le cadre détermine quelque chose du tableau en éliminant par avance tous ceux qui n’ont pas la même forme et la même dimension ; mais, pourvu que la forme et la dimension y soient, le tableau entrera dans le cadre. Ainsi pour le cerveau et la conscience. Pourvu que les actions relativement simples — gestes, attitudes, mouvements — en lesquels se dégraderait un état d’âme complexe, soient bien celles que le cerveau prépare, l’état mental s’insérera exactement dans l’état cérébral ; mais il y a une multitude de tableaux différents qui tiendraient aussi bien dans ce cadre ; et par conséquent le cerveau ne détermine pas la pensée ; et par conséquent la pensée, en grande partie du moins, est indépendante du cerveau.

L’étude des faits permettra de décrire avec une précision croissante cet aspect particulier de la vie mentale qui est seul dessiné, à notre avis, dans l’activité cérébrale. S’agit-il de la faculté de percevoir et de sentir ? Notre corps, inséré dans le monde matériel, reçoit des excitations auxquelles il doit répondre par des mouvements appropriés ; le cerveau, et d’ailleurs le système cérébro-spinal en général, préparent ces mouvements ; mais la perception est tout autre chose[1]. S’agit-il de la faculté de vouloir ? Le corps exécute des mouvements volontaires grâce à certains mécanismes, tout montés dans le système nerveux, qui n’attendent qu’un signal pour se déclencher ; le cerveau est

  1. Voir, sur ce point, Matière et Mémoire, chap. 1.