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cérébral équivaudrait exactement au mental. Comment la philosophie du XVIIe, siècle avait-elle été conduite à cette hypothèse ? Ce n’était certes pas par l’anatomie et la physiologie du cerveau, sciences qui existaient à peine ; et ce n’était pas davantage par l’étude de la structure, des fonctions et des lésions de l’esprit. Non, cette hypothèse avait été tout naturellement déduite des principes généraux d’une métaphysique qu’on avait conçue, en grande partie au moins, pour donner un corps aux espérances de la physique moderne. Les découvertes qui suivirent la Renaissance — principalement celles de Kepler et de Galilée — avaient révélé la possibilité de ramener les problèmes astronomiques et physiques à des problèmes de mécanique. De là l’idée de se représenter la totalité de l’univers matériel, inorganisé et organisé, comme une immense machine, soumise à des lois mathématiques. Dès lors les corps vivants en général, le corps de l’homme en particulier, devaient s’engrener dans la machine comme autant de rouages dans un mécanisme d’horlogerie ; aucun de nous ne pouvait rien faire qui ne fût déterminé par avance, calculable mathématiquement. L’âme humaine devenait ainsi incapable de créer ; il fallait, si elle existait, que ses états successifs se bornassent à traduire en langage de pensée et de sentiment les mêmes choses que son corps exprimait en étendue et en mouvement. Descartes, il est vrai, n’allait pas encore aussi loin : avec le sens qu’il avait des réalités, il préféra, dût la rigueur de la doctrine en souffrir, laisser un peu de place à la volonté libre. Et si, avec Spinoza et Leibniz, cette restriction disparut, balayée par la logique du système, si ces deux philosophes formulèrent dans toute