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modèle sur elle à force de vivre à ses côtés. Toutes forment aujourd’hui autour d’elle une ligne de défense imposante, qu’on ne peut forcer sur un point sans que la résistance renaisse sur un autre. Citons en particulier :

1° L’idée implicite (on pourrait même dire inconsciente) d’une âme cérébrale, c’est-à-dire d’une concentration de la représentation dans la substance corticale. La représentation paraissant se déplacer avec le corps, on raisonne comme s’il y avait, dans le corps lui-même, l’équivalent de la représentation. Les mouvements cérébraux seraient ces équivalents. La conscience, pour percevoir l’univers sans se déranger, n’a plus alors qu’à se dilater dans l’espace restreint de l’écorce cérébrale, véritable « chambre noire » où se reproduit en réduction le monde environnant.

2° L’idée que toute causalité est mécanique, et qu’il n’y a rien dans l’univers qui ne soit calculable mathématiquement. Alors, comme nos actions dérivent de nos représentations (aussi bien passées que présentes), il faut sous peine d’admettre une dérogation à la causalité mécanique, supposer que le cerveau d’où part l’action contenait l’équivalent de la perception, du souvenir et de la pensée elle-même. Mais l’idée que le monde entier, y compris les êtres vivants, relève de la mathématique pure, n’est qu’une vue a priori de l’esprit, qui remonte aux cartésiens. On peut l’exprimer à la moderne, la traduire dans le langage de la science actuelle, y rattacher un nombre toujours croissant de faits observés (où l’on a été conduit par elle) et lui attribuer alors des origines expérimentales : la partie effectivement mesurable du réel n’en reste pas moins limitée, et la loi, envisagée comme