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l’idéaliste la réalité même. Réaliste au moment où il pose le réel, il devient idéaliste dès qu’il en affirme quelque chose, la notation réaliste ne pouvant plus guère consister, dans les explications de détail, qu’à inscrire sous chaque terme de la notation idéaliste un indice qui en marque le caractère provisoire. Soit ; mais ce que nous avons dit de l’idéalisme va s’appliquer alors au réalisme qui a pris l’idéalisme à son compte. Et faire des états cérébraux l’équivalent des perceptions et des sou­venirs reviendra toujours, de quelque nom qu’on appelle le système, à affirmer que la partie est le tout.

En approfondissant les deux systèmes, on verrait que l’idéalisme a pour essence de s’arrêter à ce qui est étalé dans l’espace et aux divisions spatiales, tandis que le réalisme tient cet étalage pour superficiel et ces divisions pour artificielles : il conçoit, derrière les représentations juxtaposées, un système d’actions réciproques, et par conséquent une implication des représentations les unes dans les autres. Comme d’ailleurs notre connaissance de la matière ne saurait sortir entièrement de l’espace, et que l’implication réciproque dont il s’agit, si profonde soit-elle, ne saurait devenir extraspatiale sans devenir extra­scientifique, le réalisme ne peut dépasser l’idéalisme dans ses explications. On est toujours plus ou moins dans l’idéalisme (tel que nous l’avons défini) quand on fait œuvre de savant : sinon, on ne songerait même pas à considérer des parties isolées de la réalité pour les conditionner l’une par rapport à l’autre, ce qui est la science même. L’hypothèse du réaliste n’est donc ici qu’un idéal destiné à lui rappeler qu’il n’aura jamais assez approfondi l’explication de la réalité, et qu’il devra établir des rela-