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derrière nos représentations une cause qui diffère d’elles. Rien ne l’empêchera, semble-t-il, de considérer la représentation des objets extérieurs comme impliquée dans les modifications cérébrales. Pour certains théoriciens, ces états cérébraux seront véritablement créateurs de la représentation, qui n’en est que l’ « épiphénomène ». D’autres supposeront, à la manière cartésienne, que les mouvements cérébraux occasionnent simplement l’apparition des perceptions conscientes, ou encore que ces perceptions et ces mouvements ne sont que deux aspects d’une réalité qui n’est ni mouvement ni perception. Tous s’accorderont néanmoins à dire qu’à un état cérébral déterminé, correspond un état de conscience déterminé, et que les mouvements intérieurs de la substance cérébrale, considérés à part, livreraient, à qui saurait les déchiffrer, le détail complet de ce qui se passe dans la conscience correspondante.

Mais comment ne pas voir que la prétention de considérer à part le cerveau, à part le mouvement de ses atomes, enveloppe ici une contradiction véritable ? Un idéaliste a le droit de déclarer isolable l’objet qui lui donne une représentation isolée, puisque l’objet ne se distingue pas pour lui de la représentation. Mais le réalisme consiste précisément à rejeter cette prétention, à tenir pour artificielles ou relatives les lignes de séparation que notre représentation trace entre les choses, à supposer au-dessous d’elles un système d’actions réciproques et de virtualités enchevêtrées, enfin à définir l’objet, non plus par son entrée dans notre représentation, mais par sa solidarité avec le tout d’une réalité inconnaissable en elle-même. Plus la science approfondit la nature du corps dans la direction de sa « réalité »,