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nous le disions, que la perception brute commence par suggérer une hypothèse destinée à l’interpréter, et que ce schéma attire alors à lui des souvenirs multiples qu’il essaie de faire coïncider avec telles ou telles parties de la perception elle-même. La perception s’enrichira de tous les détails évoqués par la mémoire des images, tandis qu’elle se distinguera des autres perceptions par l’étiquette simple que le schéma aura commencé, en quelque sorte, par coller sur elle.

On a dit que l’attention était un état de monoïdéisme[1]. Et l’on a fait remarquer, d’autre part, que la richesse d’un état mental est en proportion de l’effort dont il témoigne. Ces deux vues sont aisément conciliables entre elles. Dans tout effort intellectuel il y a une multiplicité visible ou latente d’images qui se poussent et se pressent pour entrer dans un schéma. Mais, le schéma étant relativement un et invariable, les images multiples qui aspirent à le remplir sont ou analogues entre elles, ou coordonnées les unes aux autres. Il n’y a donc effort mental que là où il y a des éléments intellectuels en voie d’organisation. En ce sens, tout effort mental est bien une tendance au monoïdéisme. Mais l’unité vers laquelle l’esprit marche alors n’est pas une unité abstraite, sèche et vide. C’est l’unité d’une « idée directrice » commune à un grand nombre d’éléments organisés. C’est l’unité même de la vie.

D’un malentendu sur la nature de cette unité sont sorties les principales difficultés que soulève la question de l’effort intellectuel. Il n’est pas douteux que cet effort « concentre » l’esprit et le fasse porter sur une repré-

  1. Ribot, Psychologie de l’attention, Paris, 1889, p. 6.