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contre des sons perçus. Il faut, pour que l’interprétation soit exacte, que la jonction s’opère.

Concevrait-on, d’ailleurs, que l’interprétation fût possible si nous allions réellement des mots aux idées ? Les mots d’une phrase n’ont pas un sens absolu. Chacun d’eux emprunte une nuance de signification particulière à ce qui le précède et à ce qui le suit. Les mots d’une phrase ne sont pas tous capables, non plus, d’évoquer une image ou une idée indépendantes. Beaucoup d’entre eux expriment des relations, et ne les expriment que par leur place dans l’ensemble et par leur lien avec les autres mots de la phrase. Une intelligence qui irait sans cesse du mot à l’idée serait constamment embarrassée et, pour ainsi dire, errante. L’intellection ne peut être franche et sûre que si nous partons du sens supposé, reconstruit hypothétiquement, si nous descendons de là aux fragments de mots réellement perçus, si nous nous repérons sur eux sans cesse, et si nous nous servons d’eux comme de simples jalons pour dessiner dans toutes ses sinuosités la courbe spéciale de la route que suivra l’intelligence.

Je ne puis aborder ici le problème de l’attention sensorielle. Mais je crois que l’attention volontaire, celle qui s’accompagne ou qui peut s’accompagner d’un sentiment d’effort, diffère précisément ici de l’attention machinale en ce qu’elle met en œuvre des éléments psychologiques situés sur des plans de conscience différents. Dans l’attention que nous prêtons machinalement, il y a des mouvements et des attitudes favorables à la perception distincte, qui répondent à l’appel de la perception confuse. Mais il ne semble pas qu’il y ait jamais attention volontaire