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ment ? On pourrait croire que nous partons ici des images pour remonter à leur signification, puisque ce sont des images qui sont données d’abord, et que « comprendre » consiste, en somme, à interpréter des perceptions ou des images. Qu’il s’agisse de suivre une démonstration, de lire un livre, d’entendre un discours, toujours ce sont des perceptions ou images qui sont présentées à l’intelligence pour être traduites par elle en relations, comme si elle devait aller du concret à l’abstrait. Mais ce n’est là qu’une apparence, et il est aisé de voir que l’esprit fait en réalité l’inverse dans le travail d’interprétation.

C’est évident dans le cas d’une opération mathématique. Pouvons-nous suivre un calcul si nous ne le refaisons pas pour notre propre compte ? Comprenons-nous la solution d’un problème autrement qu’en résolvant le problème à notre tour ? Le calcul est écrit au tableau, la solution est imprimée dans un livre ou exposée de vive voix ; mais les chiffres que nous voyons ne sont que des poteaux indicateurs auxquels nous nous reportons pour nous assurer que nous ne faisons pas fausse route ; les phrases que nous lisons ou entendons n’ont un sens complet pour nous que lorsque nous sommes capables de les retrouver par nous-mêmes, de les créer à nouveau, pour ainsi dire, en tirant de notre propre fonds l’expression de la vérité mathématique qu’elles enseignent. Le long de la démonstration vue ou entendue nous avons cueilli quelques suggestions, choisi des points de repère. De ces images visuelles ou auditives nous avons sauté à des représentations abstraites de relation. Partant alors de ces représentations, nous les déroulons en mots imaginés qui viennent rejoindre et recouvrir les mots lus ou entendus.