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en nous le phénomène. Nous n’y avons jamais réussi tout à fait ; nous avons pourtant obtenu, à diverses reprises, quelque chose d’approchant, mais de très fuyant. Il faut pour cela que nous nous trouvions en présence d’une scène, non seulement nouvelle pour nous, mais qui tranche sur le cours de notre vie habituelle. Ce sera, par exemple, un spectacle auquel nous assistons en voyage, surtout si le voyage a été improvisé. La première condition est alors que nous éprouvions un certain étonnement tout particulier, que j’appellerai l’étonnement de se trouver là. Sur cet étonnement vient se greffer un sentiment assez différent, qui a pourtant une parenté avec lui : le sentiment que l’avenir est clos, que la situation est détachée de tout mais que nous sommes attachés à elle. À mesure que ces deux émotions se compénètrent, la réalité perd de sa solidité et notre perception du présent tend aussi à se doubler de quelque autre chose, qui serait derrière. Est-ce le « souvenir du présent » qui transparaît ? Nous n’oserions l’affirmer ; mais il semble bien que nous soyons alors sur le chemin de la fausse reconnaissance, et qu’il y aurait peu de chose à faire pour y arriver.

Maintenant, pourquoi le souvenir du présent attend-il, pour se révéler, que l’élan de conscience faiblisse ou s’arrête ? Nous ne savons rien du mécanisme par lequel une représentation sort de l’inconscient ou y retombe. Tout ce que nous pouvons faire est de recourir à un schéma provisoire par lequel symboliser l’opération. Revenons à celui dont nous nous étions servi d’abord. Représentons-nous la totalité des souvenirs inconscients comme pressant contre la conscience, — celle-ci ne laissant passer,