Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il y a quelques années, je trouve l’épithète shadowy appliquée à l’ensemble du phénomène ; on ajoute que le phénomène se présente plus tard, quand on se le remémore, comme « the half forgotten relic of a dream ». Des observateurs qui ne se connaissent pas entre eux, qui parlent des langues différentes, s’expriment ici en termes qui sont la traduction textuelle les uns des autres. L’impression de rêve est donc à peu près générale.

Mais il faut remarquer aussi que les personnes sujettes à la fausse reconnaissance sont fréquemment portées à trouver étrange un mot familier. Une enquête faite par G. Heymans lui a montré que ces deux dispositions étaient liées l’une à l’autre[1]. L’auteur ajoute avec raison que les théories courantes du premier phénomène n’expliquent pas pourquoi il s’associe au second.

Dans ces conditions, n’est-il pas permis de chercher la cause initiale de la fausse reconnaissance dans un arrêt momentané de notre élan de conscience, arrêt qui ne change rien, sans doute, à la matérialité de notre présent, mais le détache de l’avenir avec lequel il fait corps et de l’action qui en serait la conclusion normale, lui donnant ainsi l’aspect d’un simple tableau, d’un spectacle qu’on s’offre à soi-même, d’une réalité transposée en rêve ? Qu’on nous permette de décrire une impression personnelle. Nous ne sommes pas sujet à la fausse reconnaissance, mais nous avons essayé, bien souvent, depuis que nous l’étudions, de nous replacer dans l’état d’âme décrit par les observateurs et d’induire expérimentalement

  1. Zeitschr. f. Psychologie, vol. 36, 1904, p. 321-343 ; et vol. 43, 1906, pp. 1-17.