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n’étant que le double de la perception. Nous tenons l’objet réel : que ferions-nous de l’image virtuelle ? Autant vaudrait lâcher la proie pour l’ombre.

C’est pourquoi il n’est pas de souvenir dont notre attention se détourne plus obstinément.

L’attention dont il s’agit n’est d’ailleurs pas cette attention individuelle dont l’intensité, la direction, la durée changent selon les personnes. C’est, pourrait-on dire, l’attention de l’espèce, une attention naturellement tournée vers certaines régions de la vie psychologique, naturellement détournée des autres. À l’intérieur de chacune de ces régions notre attention individuelle se dirigera sans doute à sa fantaisie, mais elle viendra simplement alors se superposer à la première, comme le choix que l’œil individuel fait de tel ou tel objet pour le regarder se superpose à celui que l’œil humain a fait, une fois pour toutes, d’une certaine région déterminée du spectre pour y voir de la lumière. Or, si un fléchissement léger de l’attention individuelle n’est que de la distraction normale, toute défaillance de l’attention spécifique se traduit par des faits pathologiques ou anormaux.

La fausse reconnaissance est une de ces anomalies. Elle tient à un affaiblissement temporaire de l’attention générale à la vie : le regard de la conscience, ne se maintenant plus alors dans sa direction naturelle, se laisse distraire à considérer ce qu’il n’a aucun intérêt à apercevoir. Mais que faut-il entendre ici par « attention à la vie » ? Quel est le genre spécial de distraction qui aboutit à la fausse reconnaissance ? Attention et distraction sont des termes vagues : peut-on les définir plus nettement dans ce cas particulier ? Nous allons essayer de le faire, sans pré-