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que je suis aujourd’hui, puisque j’ai vécu dans l’intervalle. Si donc les deux images sont les mêmes, elles ne se présentent pas dans le même cadre, et le vague sentiment de la différence des cadres entoure, comme une frange, la conscience que je prends de l’identité des images et me permet à tout instant de les distinguer. Au contraire, dans la fausse reconnaissance, les cadres sont identiques, comme les images elles-mêmes. J’assiste au même spectacle avec les mêmes sensations, les mêmes préoccupations : bref, je suis en ce moment au même point, à la même date, au même instant où j’étais alors de mon histoire. C’est donc à peine si l’on peut parler ici d’illusion, puisque la connaissance illusoire est l’imitation d’une connaissance réelle, et que le phénomène auquel nous avons affaire n’imite aucun autre phénomène de notre expérience. Et c’est à peine si l’on peut parler de fausse reconnaissance, puisqu’il n’y a pas de reconnaissance vraie, d’un genre ou d’un autre, dont celle-ci serait l’exacte contrefaçon. En réalité il s’agit d’un phénomène unique en son genre, celui-là même que produirait le « souvenir du présent » s’il surgissait tout à coup de l’inconscient où il doit rester. Il ferait l’effet d’un souvenir, puisque le souvenir offre une marque distinctive, autre que celle de la perception ; mais il ne pourrait pas être rapporté à une expérience passée, parce que chacun de nous sait bien qu’on ne vit pas deux fois le même moment de son histoire.

Reste à savoir pourquoi ce souvenir demeure ordinairement caché, et comment il se révèle dans des cas extraordinaires. D’une manière générale, en droit, le passé ne