Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre présent. Or, ce sont précisément les caractères de la fausse reconnaissance. On les trouve d’autant plus accentués que le phénomène est plus net, plus complet, plus profondément analysé par celui qui en fait l’expérience.

Plusieurs ont parlé en effet d’un sentiment d’automatisme, et d’un état comparable à celui de l’acteur qui joue un rôle. Ce qui se dit et ce qui se fait, ce qu’on dit et ce qu’on fait soi-même, semble « inévitable ». On assiste à ses propres mouvements, à ses pensées, à ses actions[1]. Les choses se passent comme si l’on se dédoublait, sans pourtant qu’on se dédouble effectivement. Un des sujets écrit : « Ce sentiment de dédoublement n’existe que dans la sensation ; les deux personnes ne font qu’un au point de vue matériel[2]. » Il entend sans doute par là qu’il éprouve un sentiment de dualité, mais accompagné de la conscience qu’il s’agit d’une seule et même personne.

D’autre part, comme nous le disions au début, le sujet se trouve souvent dans le singulier état d’âme d’une personne qui croit savoir ce qui va se passer, tout en se sentant incapable de le prédire. « Il me semble toujours, dit l’un d’eux, que je vais prévoir la suite, mais je ne pourrais pas l’annoncer réellement. » Un autre se rappelle ce qui va arriver « comme on se rappelle un nom qui est sur le bord de la mémoire[3] ». Une des plus anciennes observations est celle d’un malade qui s’imagine

  1. Voir, en particulier, les observations recueillies par Bernard-Leroy, op. cit., p. 182, 185, 176, 232, etc.
  2. Ibid., p. 186.
  3. Lalande, Des paramnésies, Rev. philos., vol. XXXVI, 1893, p. 487.