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sujets endormis qu’ils ont dans la bouche du sucre ou du sel, doit déjà être elle-même un peu sucrée ou salée.

En creusant encore au-dessous de cette illusion, on trouverait à sa racine le besoin, inné à notre esprit, de se représenter le tout de notre vie intérieure sur le modèle de la très petite partie de nous-mêmes qui est insérée dans la réalité présente, qui la perçoit et qui agit sur elle. Nos perceptions et nos sensations sont à la fois ce qu’il y a de plus éclairé en nous et de plus important pour nous ; elles notent à chaque instant la relation changeante de notre corps aux autres corps ; elles déterminent ou orientent notre conduite. De là notre tendance à ne voir dans les autres faits psychologiques que des perceptions ou des sensations obscurcies ou diminuées. Ceux mêmes d’entre nous qui résistent le plus à cette tendance, qui croient apercevoir dans la pensée autre chose qu’un jeu d’images, ont de la peine à se persuader que le souvenir d’une perception se distingue radicalement de cette perception même : le souvenir devrait en tout cas, leur semble-t-il, être exprimable en termes de perception, s’obtenir par quelque opération effectuée sur l’image. Quelle sera alors cette opération ? A priori, nous nous disons qu’elle ne peut porter que sur la qualité du contenu de l’image, ou sur sa quantité, ou sur les deux à la fois. Or, ce n’est pas sur la qualité, à coup sûr, qu’elle porte effectivement, puisque le souvenir doit nous représenter le passé sans l’altérer. Ce sera donc sur la quantité. Mais la quantité, à son tour, peut être extensive ou intensive, car l’image comprend un nombre déterminé de parties, et elle présente un certain degré de force. Considérons la première alternative. Le souvenir modifie-t-il l’extension de l’image ? Non,