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dent de leur lest, c’est-à-dire de leur puissance d’insertion et de pénétration dans la réalité[1]. C’est l’ « attention à la vie » qui est diminuée, et les phénomènes nouveaux qui apparaissent ne sont que l’aspect extérieur de ce détachement.

Nous reconnaissons d’ailleurs que, même sous cette forme, l’idée est encore trop générale pour servir au détail des explications psychologiques. Du moins indiquera-t-elle la marche à suivre pour trouver l’explication.

Si on l’accepte, en effet, il n’y aura pas lieu de chercher, pour le phénomène morbide ou anormal qui se présente avec des caractères spéciaux, une cause active qui le produise, car ce phénomène, en dépit des apparences, n’a rien de positif, rien de nouveau. Il se fabriquait déjà en temps normal ; mais il était empêché de paraître, au moment où il l’aurait voulu, par un de ces mécanismes antagonistes, constamment agissants, qui assurent l’attention à la vie. C’est que la vie psychologique normale, telle que nous nous la représentons, est un système de fonctions dont chacune a son dispositif particulier. Chaque dispositif, laissé à lui-même, donnerait une foule d’effets inutiles ou fâcheux, capables de troubler le fonctionnement des autres et de déranger aussi notre équilibre mobile, notre adaptation constamment renouvelée à la réalité. Mais un travail d’élimination, de correction, de mise au point se poursuit sans cesse, d’où résulte précisément la santé morale. Là où il faiblit, des symptômes apparaissent, que nous croyons créés pour la cir-

  1. Voir Matière et Mémoire, Paris, 1896, chap. III, en particulier p. 192-193.