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Enfin, dans un travail approfondi qui contient, sous forme d’auto-observation, une des plus pénétrantes analyses qu’on ait données de la fausse reconnaissance[1]. MM. Dromard et Albès expliquent le phénomène par une diminution du « tonus attentionnel » qui amènerait une rupture entre le « psychisme inférieur » et le « psychisme supérieur ». Le premier, fonctionnant sans l’aide du second, percevrait automatiquement l’objet présent, et le second s’emploierait alors tout entier à considérer l’image recueillie par le premier, au lieu de regarder l’objet lui-même[2].

De ces dernières thèses nous dirons, comme des premières, que nous en acceptons le principe : c’est bien dans un abaissement du ton général de la vie psychologique qu’il faut chercher la cause initiale de la fausse reconnaissance. Le point délicat est de déterminer la forme toute spéciale que revêt ici l’inattention à la vie, et aussi d’expliquer pourquoi elle aboutit à nous faire prendre le présent pour une répétition du passé. Un simple relâchement de l’effort de synthèse réclamé par la perception donnera bien à la réalité l’aspect d’un rêve, mais pourquoi ce rêve apparaît-il comme la répétition intégrale d’une minute déjà vécue ? À supposer que le « psychisme supérieur » intervienne pour superposer son attention à cette perception inattentive, on aura tout au plus un souvenir considéré attentivement : ce ne sera pas une perception doublée d’un souvenir. D’autre part, une

  1. Dromard et Albès, Essai théorique sur l’illusion dite de fausse reconnaissance, Journal de psychologie, vol. II, 1904, p. 216-228.
  2. C’est également par un « abaissement de ton vital » qu’on a expliqué la « dépersonnalisation ». Voir, à ce sujet, Dugas, Un cas de dépersonnalisation, Rev. philos., vol. XLV, 1898, p. 500-507.