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LA FAUSSE RECONNAISSANCE

ces « sentiments d’incomplétude » que M. Janet a étudiés d’une manière si originale : le sujet, dérouté par ce qu’il y a d’incomplètement réel et par conséquent d’incomplètement actuel dans sa perception, ne sait trop s’il a affaire à du présent, à du passé, ou même à de l’avenir. M. Léon. Kindberg a repris et développé cette idée d’une diminution de l’effort de synthèse[1]. D’autre part, Heymans a essayé de montrer comment un « abaissement de l’énergie psychique » pourrait modifier l’aspect de notre entourage habituel et communiquer l’aspect du « déjà vu » aux événements qui s’y déroulent. « Supposons, dit-il, que notre entourage habituel ne fasse plus résonner que tout bas les associations éveillées d’ailleurs régulièrement par lui. Il arrivera précisément ce qui arrive dans les cas où, après bien des années, nous voyons de nouveau des lieux ou des objets, nous entendons de nouveau des mélodies, que nous avons jadis connus mais que nous avons depuis longtemps oubliés… Or si, dans ces derniers cas, nous avons appris à interpréter la plus faible poussée des associations comme le signe d’expériences antérieures se rapportant aux mêmes objets que ceux d’à présent, on devine que, dans les autres cas aussi, dans les cas où, par suite d’une diminution de l’énergie psychique, l’entourage habituel déploie une efficacité associative très diminuée, nous aurons cette impression qu’en lui se répètent, identiquement, des événements personnels et des situations tirées du fond d’un passé nébuleux[2]. »

  1. Léon-Kindberg, Le sentiment du déjà vu et l’illusion de fausse reconnaissance, Revue de psychiatrie, 1903, p. 139-166.
  2. Zeitschr. f. Psychologie, vol. XXXVI, 1904, p. 321-343.