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est rejetée dans le passé et pourquoi l’illusion est continue. Si l’on nous donne l’image rejetée dans le passé pour antérieure à l’image localisée dans le présent, si l’on y voit une première perception moins intense, ou moins attentive, ou moins consciente, on essaie tout au moins de nous faire comprendre pourquoi elle prend la forme d’un souvenir ; mais il ne s’agira alors que du souvenir d’un certain moment de la perception ; l’illusion ne se prolongera pas, ne se renouvellera pas, à travers la perception entière. Que si, au contraire, les deux images se forment ensemble, la continuité de l’illusion se comprend mieux, mais le rejet de l’une d’elles dans le passé appelle plus impérieusement encore une explication. On pourrait d’ailleurs se demander si aucune des hypothèses, même du premier genre, rend réellement compte du rejet, et si la faiblesse ou la subconscience d’une perception suffit à lui donner l’aspect d’un souvenir. Quoi qu’il en soit, une théorie de la fausse reconnaissance doit répondre en même temps aux deux exigences que nous venons de formuler, et ces deux exigences apparaîtront comme inconciliables, croyons-nous, tant qu’on n’aura pas approfondi, du point de vue purement psychologique, la nature du souvenir normal.

Échappera-t-on à la difficulté en niant la dualité des images, en invoquant un « sentiment intellectuel » du « déjà vu » qui viendrait parfois se surajouter à notre perception du présent et nous faire croire à un recommencement du passé ? Telle est l’idée émise par M. E. Bernard-Leroy dans un livre bien connu[1]. Nous sommes

  1. E. Bernard-Leroy, L’illusion de fausse reconnaissance, Paris, 1898. La lecture de ce livre, qui contient un grand nombre d’observations inédites, est indispensable à quiconque veut se faire une idée précise de la fausse reconnaissance. — Dans son Étude sur les illusions du temps des rêves, thèse de médecine Paris, 1900, Mlle J. Tobolowska adopte les conclusions de M. Bernard-Leroy.