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une autre[1]. L’illusion de fausse reconnaissance fond sur le sujet instantanément, et instantanément aussi le quitte, laissant derrière elle une impression de rêve. Rien de semblable dans la confusion plus ou moins lente à s’établir, plus ou moins facile à dissiper, d’une expérience actuelle avec une expérience antérieure qui lui ressemble. Ajoutons (et c’est là peut-être l’essentiel) que cette confusion est une erreur comme les autres erreurs, un phénomène localisé dans le domaine de l’intelligence pure. Au contraire, la fausse reconnaissance peut ébranler la personnalité entière. Elle intéresse la sensibilité et la volonté autant que l’intelligence. Celui qui l’éprouve est souvent en proie à une émotion caractéristique ; il devient plus ou moins étranger à lui-même et comme « automatisé ». Nous nous trouvons ici devant une illusion qui comprend des éléments divers et qui les organise en un seul effet simple, véritable individualité psychologique[2].

Où faut-il en chercher le centre ? Sera-ce dans une représentation, dans une émotion, ou dans un état de la volonté ?

La première tendance est celle des théories qui expliquent la fausse reconnaissance par une image, née au cours de la perception ou un peu avant, et rejetée aussitôt dans le passé. Pour rendre compte de cette image, on a supposé d’abord que le cerveau était double, qu’il produisait deux perceptions simultanées, dont l’une pouvait dans certains cas être en retard sur l’autre et, en raison de

  1. Arch. f. Psychiatrie, vol. XVIII, 1887, p. 409-436.
  2. L’hypothèse de Grasset, d’après laquelle la première expérience aurait été enregistrée par l’inconscient, échapperait, à la rigueur, aux deux dernières objections, mais non pas à la première.