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poussée jusqu’au bout et devenue « dépersonnalisation[1] », n’est pas indissolublement liée à la fausse reconnaissance ; elle s’y rattache cependant. Tous ces symptômes sont d’ailleurs plus ou moins accusés. L’illusion, au lieu de se dessiner sous sa forme complète, se présente souvent à l’état d’ébauche. Mais, esquisse ou dessin achevé, elle a toujours sa physionomie originale.

On possède bien des observations de fausse reconnaissance : elles se ressemblent d’une manière frappante ; elles sont souvent formulées en termes identiques. Nous avons entre les mains l’auto-observation qu’a bien voulu rédiger pour nous un homme de lettres, habile à s’étudier lui-même, qui n’avait jamais entendu parler de l’illusion de fausse reconnaissance et qui croyait être seul à l’éprouver. Sa description se compose d’une dizaine de phrases : toutes se rencontrent, à peu près telles quelles, dans des observations déjà publiées. Nous nous félicitons d’abord d’y avoir au moins relevé une expression nouvelle : l’auteur nous dit que ce qui domine le phénomène est une sensation d’ « inévitabilité », comme si aucune puissance au monde ne pouvait arrêter les paroles et les actes qui vont venir. Mais voici que, relisant les observations recueillies par M. Bernard-Leroy, nous avons trouvé dans l’une d’elles le même mot : « J’assistais à mes actions ; elles étaient inévitables[2]. » En vérité, on peut se demander s’il existe une illusion aussi nettement stéréotypée.

Nous ne comprendrons pas dans la fausse reconnaissance certaines illusions qui ont tel ou tel trait commun

  1. Le mot a été créé par M. Dugas (Un cas de dépersonnalisation, Revue philos., vol. XLV, 1898, p. 500-507).
  2. L’illusion de fausse reconnaissance, Paris, 1898, p. 176.