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Qu’est-ce que dormir ? Je ne demande pas, bien entendu, quelles sont les conditions physiologiques du sommeil. C’est une question à débattre entre physiologistes ; elle est loin d’être tranchée. Je demande comment nous devons nous représenter l’état d’âme de l’homme qui dort. Car l’esprit continue à fonctionner pendant le sommeil ; il s’exerce, — nous venons de le voir, — sur des sensations, sur des souvenirs ; et soit qu’il dorme, soit qu’il veille, il combine la sensation avec le souvenir qu’elle appelle. Le mécanisme de l’opération paraît être le même dans les deux cas. Pourtant nous avons d’un côté la perception normale, de l’autre le rêve. Le mécanisme ne travaille donc pas, ici et là, de la même manière. Où est la différence ? Et quelle est la caractéristique psychologique du sommeil ?

Ne nous fions pas trop aux théories. On a dit que dormir consistait à s’isoler du monde extérieur. Mais nous avons montré que le sommeil ne ferme pas nos sens aux impressions du dehors, qu’il leur emprunte les matériaux de la plupart des songes. On a vu encore dans le sommeil un repos donné aux fonctions supérieures de la pensée, une suspension du raisonnement. Je ne crois pas que ce soit plus exact. Dans le rêve, nous devenons souvent indifférents à la logique, mais non pas incapables de logique. Je dirai presque, au risque de côtoyer le paradoxe, que le tort du rêveur est plutôt de raisonner trop. Il éviterait l’absurde s’il assistait en simple spectateur au défilé de ses visions. Mais quand il veut à toute force en donner une explication, sa logique, destinée à relier entre elles des images incohérentes, ne peut que parodier celle de la raison et frôler l’absurdité. Je reconnais d’ailleurs que les fonctions supérieures de l’intelligence se relâchent