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la chose complète ; et le souvenir complet, dont notre esprit n’avait pas conscience, qui nous restait en tout cas intérieur comme une simple pensée, profite de l’occasion pour s’élancer dehors. C’est cette espèce d’hallucination, insérée dans un cadre réel, que nous nous donnons quand nous voyons la chose. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur l’attitude et la conduite du souvenir au cours de l’opération. Il ne faut pas croire que les souvenirs logés au fond de la mémoire y restent inertes et indifférents. Ils sont dans l’attente, ils sont presque attentifs. Quand, l’esprit plus ou moins préoccupé, nous déplions notre journal, ne nous arrive-t-il pas de tomber tout de suite sur un mot qui répond justement à notre préoccupation ? Mais la phrase n’a pas de sens, et nous nous apercevons bien vite que le mot lu par nous n’était pas le mot imprimé : il y avait simplement entre eux certains traits communs, une vague ressemblance de configuration. L’idée qui nous absorbait avait donc dû donner l’éveil, dans l’inconscient, à toutes les images de la même famille, à tous les souvenirs de mots correspondants, et leur faire espérer, en quelque sorte, un retour à la conscience. Celui-là est effectivement redevenu conscient que la perception actuelle d’une certaine forme de mot commençait à actualiser.

Tel est le mécanisme de la perception proprement dite, et tel est celui du rêve. Dans les deux cas il y a, d’un côté, des impressions réelles faites sur les organes des sens, et, de l’autre, des souvenirs qui viennent s’insérer dans l’impression et profiter de sa vitalité pour revenir à la vie.

Mais alors, où est la différence entre percevoir et rêver ?