Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’observateur puisse apercevoir toutes les lettres. On a commencé en effet par déterminer expérimentalement le temps nécessaire à la vision d’une lettre de l’alphabet ; est donc facile de faire en sorte que le sujet ne puisse pas distinguer plus de huit ou dix lettres, par exemple, sur les trente ou quarante qui composent la formule. Or, le plus souvent, il lit cette formule sans difficulté. Mais là n’est pas pour nous le point le plus instructif de cette expérience.

Si l’on demande à l’observateur quelles sont les lettres qu’il est sûr d’avoir aperçues, les lettres qu’il désigne peuvent être effectivement présentes ; mais ce seront tout aussi bien des lettres absentes, qu’on aura remplacées par d’autres ou simplement omises. Ainsi, parce que le sens paraissait l’exiger, il aura vu se détacher en pleine lumière des lettres inexistantes. Les caractères réellement aperçus ont donc servi à évoquer un souvenir. La mémoire inconsciente, retrouvant la formule à laquelle ils donnaient un commencement de réalisation, a projeté ce souvenir au dehors sous une forme hallucinatoire. C’est ce souvenir que l’observateur a vu, autant et plus que l’inscription elle-même, Bref, la lecture courante est un travail de divination, mais non pas de divination abstraite : c’est une extériorisation de souvenirs, de perceptions simplement remémorées et par conséquent irréelles, lesquelles profitent de la réalisation partielle qu’elles trouvent çà et là pour se réaliser intégralement.

Ainsi, à l’état de veille, la connaissance que nous prenons d’un objet implique une opération analogue à celle qui s’accomplit en rêve. Nous n’apercevons de la chose que son ébauche ; celle-ci lance un appel au souvenir de