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en extension. Elle n’apporte guère que du diffus et du confus. Ce n’en est pas moins avec de la sensation réelle que nous fabriquons du rêve.

Comment le fabriquons-nous ? Les sensations qui nous servent de matière sont vagues et indéterminées. Prenons celles qui figurent au premier plan, les taches colorées qui évoluent devant nous quand nous avons les paupières closes. Voici des lignes noires sur un fond blanc. Elles pourront représenter un tapis, un échiquier, une page d’écriture, une foule d’autres choses encore. Qui choisira ? Quelle est la forme qui imprimera sa décision à l’indécision de la matière ? — Cette forme est le souvenir.

Remarquons d’abord que le rêve ne crée généralement rien. Sans doute on cite quelques exemples de travail artistique, littéraire ou scientifique, exécuté au cours d’un songe. Je ne rappellerai que le plus connu de tous. Un musicien du XVIIIe siècle, Tartini, s’acharnait à une composition, mais la muse se montrait rebelle. Il s’endormit ; et voici que le diable en personne apparut, s’empara du violon, joua la sonate désirée. Cette sonate, Tartini l’écrivit de mémoire à son réveil ; il nous l’a transmise sous le nom de « Sonate du Diable ». Mais nous ne pouvons rien tirer d’un récit aussi sommaire. Il faudrait savoir si Tartini n’achevait pas la sonate pendant qu’il cherchait à se la remémorer. L’imagination du dormeur qui s’éveillé ajoute parfois au rêve, le modifie rétroactivement, en bouche les trous, qui peuvent être considérables. J’ai cherché des observations plus approfondies, et surtout d’une authenticité plus certaine ; je n’en ai pas trouvé d’autre que celle du romancier anglais Stevenson. Dans un curieux essai intitulé « A chapter on dreams », Ste-