Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/69

Cette page n’a pas encore été corrigée
Chapitre II

De la multiplicité des états de conscience[1]

L’idée de durée

On définit généralement le nombre une collection d’unités ou, pour parler avec plus de précision, la synthèse de l’un et du multiple. Tout nombre est un, en effet, puisqu’on se le représente par une intuition simple de l’esprit et qu’on lui donne un nom ; mais cette unité est celle d’une somme ; elle embrasse une multiplicité de parties qu’on peut considérer isolément. Sans approfondir pour le moment ces notions d’unité et de multiplicité,

  1. Notre travail était entièrement terminé quand nous avons lu dans la Critique philoso­phique (années 1883 et 1884) une bien remarquable réfutation, par M. F. PILLON, d’un intéressant article de M. G. Noël sur la solidarité des notions de nombre et d’espace. Toutefois, nous n’avons rien trouvé à changer aux pages qu’on va lire, parce que M. Pillon ne distingue pas entre le temps qualité et le temps quantité, entre la multiplicité de juxtaposition et celle de pénétration mutuelle. Sans cette distinction capitale, qui fait le principal objet de notre second chapitre, on pourrait soutenir, avec M. Pillon, que le rapport de coexistence suffit à la construction du nombre. Mais qu’entend-on ici par coexistence ? Si les termes qui coexistent s’organisent ensemble, jamais le nombre n’en sortira ; s’ils demeurent distincts, c’est qu’ils se juxtaposent, et nous voilà dans l’espace. En vain on alléguera l’exemple des impressions simultanées reçues par plusieurs sens. Ou bien on conserve à ces sensations leurs différences spécifiques, ce qui revient à dire qu’on ne les compte pas ; ou bien on fait abstraction de leurs différences, et alors comment les distinguera-t-on sinon par leur position ou par celle de leurs symboles ? Nous allons voir que le verbe distinguer a deux sens, l’un qualitatif, l’autre quantitatif : ces deux sens ont été confondus, croyons-nous, par tous ceux qui ont traité des rapports du nombre avec l’espace.