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ENTRETIENS.

qu’à force d’apprendre, et d’alimenter son talent par l’étude ! — Quant à lui, Théophile Gautier, sa famille n’a jamais su avant sa maladie à quelle heure il dormait. Il lisait toute la nuit, et, pour se reposer, la journée entière, quand il ne sortait point, se passait encore pour lui en lectures.

Aussi quand je dirai que Théophile Gautier savait tout, je n’apprendrai rien du moins à ceux qui l’ont connu. Il pouvait à bon droit prétendre à refaire pour moi ce que Gœthe avait fait pour Eckermann, car ses connaissances encyclopédiques ne le cédaient en rien à celles du poëte de Weimar. Les sciences et les arts n’avaient pas été creusés seulement par lui, comme on se l’est imaginé, jusqu’à la technique, mais bien jusqu’aux profondeurs presque mystérieuses de leurs découvertes et de leurs relations. Il n’est pas d’exemple, non pas même dans l’œuvre, mais dans la conversation de Théophile Gautier, que le plus spécialiste des savants l’ait jamais pris en défaut ou embarrassé. Trois minutes de réflexion suffisaient pour qu’il rapportât et mît dans la main du questionneur la clef d’or de son théorème[1].

  1. Il aimait à conter à ce propos une anecdote que voici.

    C’était à la campagne, dans un château hospitalier, qui, chaque été, réunissait un groupe choisi d’artistes et de savants. Le parc est traversé d’un étang poissonneux où vivent, l’annulaire aux ouies, des carpes séculaires, vénérables fiancées du temps. Il prit un jour fantaisie à l’un des hôtes d’en manger une à son déjeu-