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BIOGRAPHIE.

fixité profonde et il regardait en dedans ; je compris qu’il rêvait aux êtres et aux choses disparus. Quand nous remontâmes en voiture, il s’assit lourdement et, comme oppressé par une vision, il soupira « Ah ! le soir d’Hernani ! »

Ma troisième anecdote est d’une espèce différente. Le 21 juin 1867, la Comédie française reprit Hernani. Théophile Gautier était l’attrait principal de cette reprise. On se le montrait dans sa loge, souriant, rajeuni, sans son gilet rouge, mais toujours avec sa longue chevelure de lion, donnant le signal et comme la tradition des applaudissements. Mais on se demandait comment le critique du Moniteur, en position d’écrivain officiel, ferait pour parler de l’auteur des Châtiments dans le journal du gouvernement impérial. Le lendemain Théophile Gautier apporta lui-même son article au Moniteur. On le pria d’en modérer les éloges et d’en adoucir le ton enthousiaste. Sans rien objecter, il prit une feuille de papier blanc et il y écrivit sa démission. Puis s’étant fait conduire au ministère de l’intérieur, il posa devant M. de Lavalette son article d’un côté et cette démission de l’autre. « Choisissez », dit-il. Le ministre fit insérer l’article sans en changer un mot.

Cinq mois après la première d’Hernani et le jour même où éclatait la révolution de 1830, paraissait chez Charles Mary, éditeur, passage des