victorieuse de la jeunesse, et il le faisait passer de mains en mains en disant : « Voilà celui que j’ai été. » Tout le monde de s’écrier que ce n’était pas possible, que le peintre l’avait flatté, qu’un homme n’était pas aussi beau que cela !… Alors il se mettait en colère ; il prenait ses sœurs à témoin ; il attestait la terre et les cieux ! Pauvre père ! Puis ses filles allaient l’embrasser, et il souriait en les regardant. C’était le moment des bonnes causeries. Il reprenait doucement le portrait, et entamait des récits sans fin que nous écoutions, sans jamais l’interrompre, pleins de joie et de respect, car nul n’a jamais causé et ne causera jamais comme Théophile Gautier.
Une de ses autres coquetteries était sa force, véritablement étonnante. Ce qu’il nous en racontait aurait fait rêver un hercule. Dans la verdeur de l’âge, il avait, à Maupertuis, arrêté net un attelage de chevaux emportés en les saisissant de face par les naseaux. Il avait, à bras tendus, promené deux hommes autour d’un salon ; que sais-je encore ! Il fallait l’entendre sur ce sujet favori ! Comme il était heureux de nos admirations ! comme il s’attardait complaisamment dans le récit de ses exploits musculaires ! La disparition subite de cette vigueur fut l’une de ses plus vives tristesses : il ne s’en consola jamais tout à fait. Comme un grand enfant qu’il était, il s’en exagérait même le découragement, et je me souviens encore de son étonnement comique,