Mais quelquefois ce n’était plus la petite réunion de famille, l’on tombait sur une immense table où se voyaient un Chinois, des princes russes, des impresarii italiens, des violonistes hongrois bottés jusqu’au nombril, un monde de gens aux baragouins divers, et qui faisait ressembler la salle à manger de Neuilly à la table d’hôte de la tour de Babel. Un jour, il s’y trouvait vingt individus parlant quarante langues, et Théo disait orgueilleusement : « Avec ma table, on aurait pu faire le tour du monde sans interprète ! »
Les douloureux événements de l’année 1870 nous séparaient. Je retrouvai, à la fin d’octobre, Théophile Gautier au bas de l’escalier du Journal officiel, sur le quai Voltaire.
« Pourquoi diable, ô Théo ! êtes-vous rentré dans cette sinistre pétaudière ?
« — Je vais vous expliquer cela, me répondait-il en posant affectueusement la main sur mon épaule ; ce n’est pas très long à dire : Le manque de monnaie, mon cher Goncourt, oui, cette chose bête qu’on appelle faulte d’argent ! Vous savez comment file un billet de