trois cent soixante-cinq jours, sans interruption et à douze colonnes par numéro, afin de ne pas être gêné dans les dialogues.”
« C’est alors, continua gaiement le maître, que l’imprudent me défia de lui fournir seulement douze feuilletons en douze jours, sans intervalles ni relâche. Je relevai le gant, comme bien tu penses, au nom de la littérature outragée en ma personne, et voilà comment la Jenny est venue au monde. Un matin j’allai à la rédaction, je pris une plume et j’écrivis à tout hasard le premier mot qui me passa par la tête, soit Partie carrée. Il est probable que j’en avais une en vue pour le soir. Et ce fut tout. Quand le prote descendait me dire : “Monsieur Gautier, il y en a assez pour aujourd’hui”, je partais déjeuner. Au douzième feuilleton, Girardin me fit appeler :
― Eh bien, vous devez être éreinté ? Mais vous avez gagné votre pari ; le roman est fini ?
— Fini ? C’est comme il vous plaira, du reste. Pour moi, il n’est pas encore entamé ; je puis aller ainsi jusqu’à la consommation des siècles et la prochaine conjonction des astres. Cela m’amuse et j’étais né pour ce métier. Est-ce que l’abonné ne trouve pas qu’il en ait pour son argent ?
― Mon cher, me dit Girardin, c’est ça et ce n’est pas ça ; l’abonné ne s’amuse pas franchement, il est gêné par le style.” »