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Dans la deuxième chambre vivait, seule, comme claustrée, une blonde créature de vingt ans, nommée Mlle Kateja, venue là de Norvège pour y mourir. Marie la servait chez elle et en sortait souvent en larmes. Point de lettres, point de visites, un abandon de tout et de tous, et trop souvent, le soir, une toux d’enfant, faible et si triste que je m’en allais pour ne pas l’entendre. Les pensionnaires la connaissaient à peine, et nous savions par un peintre qui, de la grève, l’avait aperçue à sa fenêtre, qu’elle était fort jolie et avait des cheveux admirables. « Une Ophélie dans la rivière », nous disait-il.

Pour prendre possession de la troisième chambre, j’avais dû attendre plusieurs jours le départ de l’occupant qui la laissait libre. C’était un grand Anglais, tout en jambes, fort froid d’apparence, et même réfrigérant, qui ne sortait pas de son plaid. Il ne parlait pas notre langue, ou évitait du moins de la parler, pour ne pas l’écorcher, sans doute, et l’hôtesse elle-même n’avait rien à nous en apprendre, sinon qu’il s’appelait Cecil Rhodes, et qu’il allait partir pour Le Cap, chercher fortune. Elle tenait le renseignement d’un autre Anglais, son client, celui-là, l’employé-chef de la pharmacie britannique, où le silencieux échassier restait la journée entière sur une patte, le col entouré de son plaid. Ce pharmacien, nommé Black, était lui-même un singulier spécimen de sa race. Irascible et joyeux, il s’essayait, dans les alambics, à la découverte d’une sauce à roatsbeef, mixture de tomates et de piments, qui devait révolutionner la « table anglaise ». Elle était bonnement exécrable.

Il réussit moins que son ami, lequel eut la chance