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mant roulait dans un corps de maquignon une âme candide, illettrée et bénévole. Dans une pièce d’Ernest Feydeau, jouée à la Place de la Bourse, et intitulée : Monsieur de Saint-Bertrand, il y avait une scène violente où Lafontaine était amené par son rôle à gifler Frédéric Febvre, et le bon Nantais ne pouvait en tolérer le spectacle. Il avait tout fait pour que Feydeau reléguât cette « chose affreuse » dans la coulisse, et il n’avait rien obtenu, de telle sorte qu’il n’allait plus aux répétitions. Vint la générale, à laquelle il ne pouvait se soustraire. Il y avait conduit un de ses compatriotes, gentilhomme breton, de passage à Paris, et qu’il avait pour actionnaire du théâtre.

À la scène de la gifle, Harmant, éperdu, secoué de la tête aux pieds, se dresse dans sa stalle : — Arrêtez, messieurs, c’est impossible ! Jamais, sous ma direction, un artiste français n’en soufflettera un autre devant le public. J’aime mieux payer l’indemnité à l’auteur.

Et comme Febvre et Lafontaine eux-mêmes cherchaient à le calmer en l’assurant qu’il n’y avait là qu’un simulacre et que la main de l’un ne touchait pas la joue de l’autre : — Simulacre ou non, je ne peux pas tolérer la scène. Et tenez, je ne suis pas le seul, voici mon ami le comte de…, il est grand propriétaire aux environs de Nantes, il a un château et des chasses magnifiques, il ne dépend de personne au monde, il vient de me le dire : Harmant, c’est révoltant, ré-vol-tant, je vous cite ses propres paroles, et celles-là sont d’un gentilhomme !

Me voyant d’autant plus déçu que je tombais du haut d’une réception enthousiaste, le directeur-