Page:Bergaigne - La religion védique d’après les hymnes du Rig-Veda.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.

contraire de rétablir la simplicité dans le vocabulaire en admettant la complexité dans les idées. Je ne recule pas même devant une idée bizarre, quand mes prédécesseurs me paraissent ne l’avoir évitée qu’en faisant violence aux mots. Mais bien entendu je ne tiens compte de cette idée dans le système que je cherche à restituer, que lorsque je l’ai retrouvée plusieurs fois sous des formes différentes et que la comparaison de plusieurs passages a, selon la méthode rigou-

    homonyme ou sur la multiplication des sens d’un même terme, deux expédients auquel MM. Roth et Grassmann se croient trop souvent forcés d’avoir recours, faute d’avoir reconnu le degré de complication que la religion védique présente dans la plupart des hymnes, et particulièrement l’importance qu’y jouent les spéculations liturgiques. Sans manquer à la reconnaissance et au respect dus au fondateur de l’exégèse védique, et à cet autre savant, son digne continuateur, si cruellement enlevé par une mort prématurée, qui lui a laissé le temps d’achever son œuvre, mais non celui d’en recueillir tout l’honneur, qu’il me soit permis de préciser ici par deux exemples, ou l’erreur de l’un et de l’autre est évidente, les critiques que je viens de formuler. Je les ai déjà cités ailleurs (Revue critique, 1875, vol. II, p. 373 note 8) ; mais bien que j’aie le choix entre un grand nombre d’exemples analogues qu’on trouvera disséminés dans ce livre, ce seront encore ceux-là que je reproduirai ici, parce qu’il n’en est guère de plus frappants. — Le mot dur « porte » fait au génitif singulier durah (oxyton) et à l’accusatif pluriel durah (paroxyton). Ces deux formes se rencontrent dans deux passages où elles ont embarrassé M. Grassmann. Déjà pour expliquer la première, au vers I, 53, 2, M. Roth avait supposé un mot dura (oxyton), dont il ne trouvait pas d’autre exemple, avec le sens de « donneur », proprement Erschliesser. M. Grassmann a admis cette hypothèse, et y a ajouté celle d’un second mot dura (paroxyton), tout aussi inconnu, et auquel il attribue le même sens, pour expliquer le vers VI, 35, 5. Or les deux formes s’expliquent parfaitement, l’une comme le génitif, l’autre comme l’accusatif du mot dur « porte ». Dans le premier passage, Indra est appelé le maître puissant « de la porte du cheval, de la porte de la vache, de la porte du blé et de la richesse », comme ailleurs il est dit d’Agni qu’il ouvre les portes de la richesse en général, I, 68, 10. Dans le second, si l’on prend le verbe vi grintshe au sens moyen, au lieu de le prendre au sens passif, on voit qu’il est dit d’Indra, si souvent accompagné de chantres, et accomplissant lui-même ses exploits au moyen de l’hymne, qu’il dischante les portes, qu’il ouvre les portes par le chant. — Passons à l’interprétation donnée du mot vip par MM. Roth et Grassmann. Ni l’un ni l’autre n’ont pu méconnaître entièrement le rapport étroit qui existe, pour le sens comme pour l’étymologie, entre ce mot vip et le mot vipra » prêtre », proprement « inspiré », ou le mot vipas (dans les composés vipaç-cit, vipo-dhâ), « inspiration » ou « hymne, prière » (cf. vepate mati, de Soma, IX, 71, 3, et d’Agni, X, 11, 6, c’est-à-dire des prêtres, des « inspirés » par excellence). Mais ils ont cru devoir en outre, pour l’interprétation de divers passages, tirer de la signification radicale « trembler, vibrer », les sens de « branche », de « baguette faisant partie du tamis à presser le Soma », et enfin de « flèche ». Or l’un des sens suggérés par la comparaison des mots vipra et vipas suffit parfaitement à l’explication de tous ces passages, non pas le sens d’« inspiré » ou de « prêtre » mais celui d’« inspiration » ou d’« hymne, prière ». De ces deux sens, M. R. n’avait reconnu que le premier. Or, j’admettrai qu’au vers 7 de l’hymne III, 3, l’opposition de devânâm nous invite à prendre vipâm au sens concret, et qu’au vers 1 du même hymne, il est naturel de l’interpréter