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Conclusion.


De ces diverses constatations un premier fait ressort clairement, c’est que, pour le fond même du récit, le Beowulf est de provenance nordique. Il tire son origine de ces pays scandinaves qui, à l’aube du moyen-âge, reçurent le dépôt du patrimoine traditionnel de la race, qui transmirent aux tribus germaniques d’alentour leurs légendes nationales et qui commencèrent à les répartir en cycles épiques variés. On le reconnaît, dans le cas du vieux poème anglais, à la forme que revêt l’histoire de Sigemund et du dragon, à l’importance que prennent les souverains danois et les chefs géates, à maint détail relatif aux anciennes croyances de la péninsule suédoise et aux luttes entre les peuples qui l’habitent. Chose singulière ! pas une allusion à l’Angleterre ne rappelle aux auditeurs du scop l’île hospitalière où ils se trouvent fixés à demeure. C’est à force de recherches érudites que l’on a découvert dans l’épisode du roi Offa et de sa redoutable épouse un lien fragile entre le Danemark, où se passe une importante partie de l’action, et les royaumes maritimes fondés sur la côte Est de la Grande-Bretagne par les corsaires venus des rivages du continent voisin. Preuve en soi que la trame intime de l’épopée est empruntée au dehors. Et par les noms qu’elle chante, par l’empreinte caractéristique qu’elle impose aux mythes du passé, par les sites où elle laisse surgir les principaux incidents de la narration, cette épopée proclame hautement qu’elle prend sa matière à l’étranger, dans l’ensemble des cantilènes héroïques qui serviront plus tard de base aux différents recueils des Eddas islandaises.

Il est non moins évident par contre que la forme dernière du Beowulf lui est venue, en Anglie ou en Mercie, de la main d’un poète né dans la grande île. Sans parler des traces incontestables de christianisme qu’un Suédois ou un Danois n’aurait pas pu y introduire à pareille époque, la civilisation que l’on y trouve décrite appartient à un type trop avancé pour être, à cette date reculée, la civilisation du Nord germanique. La construction des routes, l’emploi de l’acier, la connaissance de nouveaux instruments de musique, l’usage de tapisseries pour le décor d’une salle de festin, l’apparition du vin à côté de la bière et de l’hydromel témoignent d’un raffinement auquel n’atteignent pas encore les roitelets barbares antérieurs à l’ère des Vikings. La douceur croissante des mœurs publiques, sous l’influence pacificatrice de la femme, le cérémonial déjà compliqué de la cour de Hrothgar ou d’Hygelac, l’énumération, parmi les vertus attribuées aux héros, de l’affabilité, de la mansuétude et de la générosité, s’opposent à ce que l’on sait des anciens Scandinaves, tandis que ces mêmes traits conviennent parfaitement au Mercien Ethelbald, le Bretwalda ou chef suzerain qui régna de 716 à 755 et réunit le Kent, l’Anglie orientale, l’Essex et