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exploits aux paysans de nos campagnes. Et par là l’œuvre épique qui ouvre la littérature anglaise prend un recul extraordinaire et nous reporte bien au-delà de l’ère chrétienne et même de l’histoire authentique des tribus germaniques primitives.

Il y a comme une confirmation de ces origines lointaines dans le fait que maints détails du récit ramènent le lecteur à une époque de civilisation rudimentaire. C’est ainsi que la mention assez fréquente d'armes et de heaumes bruns (p. ex. : Beowulf, v. 1546, 2578, 2615) dénote probablement l’existence de lames et de plaques anciennes en bronze, telles qu’on en rencontre à partir de l’âge de la pierre polie et avant la découverte des métaux que la nature ne fournit pas à l’état pur. Le fer, dans le poème, paraît d’introduction plus récente, mais il sert aux usages les plus variés, à la fabrication d’épées (Beowulf, v. 673, 802, 892, 1459, 2778), de cottes de mailles (id., v. 671, 2986) et de flèches ou de dards (id., v. 3116), tandis que l’acier, à en juger par les deux endroits où il est cité (id., v. 985 et 1533) reste précieux et rare, apprécié surtout pour sa dureté exceptionnelle. Les méthodes de combat s’accordent avec ces moyens d’attaque primitifs et l’on voit, au vers 2957, le chef suédois Ongentheow, par crainte des forces supérieures de son adversaire Hygelac, se réfugier derrière un de ces remparts de terre qui ont laissé des traces nombreuses en Angleterre et en France sous le nom de Danes’ barrows ou de camps de César. Si l’or est bien connu et représente avant tout la richesse (id., v. 304, 614, 715, 1800, 2414, 2748), alors que le bétail en demeure le principal signe chez Homère, il n’est nulle part question de l’argent[1] que certaines tribus germaniques lui préféraient, au dire de Tacite (De Moribiis Germanorum, ch. V). Notons aussi comme un indice d’antiquité relative, la position de certaines tribus, qui suppose souvent une date antérieure à la migration des barbares. Th. Arnold remarque que les Gifthas, en qui Ettmuller reconnaît, sans doute avec raison, les Gépides de l’histoire, au lieu de résider en Dacie, comme le rapporte Jornandes, sont fixés près des Danois sur les bords de la Baltique. De même les Hugas, qui correspondent aux Chauci de Tacite, habitent le littoral de la mer du Nord (Beowulf, v. 2502, 2914), et les Heathobards, que leur nom apparente aux anciens Longobards ou Lombards, se rencontrent encore dans le voisinage du Danemark (id., v. 2032, 2037), alors que les historiens du 5e siècle les situent sur le cours moyen du Danube. Quoique remontant moins haut dans le passé que les indications relevées ci-dessus, ces détails géographiques nous replacent également en pleine période païenne.

S’il fallait une preuve subsidiaire de l’ancienneté des traditions recueillies dans le Beowulf, l’aspect qu’y revêtent quelques légendes

  1. À moins que l’argent ne soit inclus dans le terme générique de sinc (id., v. 81, 622, 1226) avec d’autres objets de prix.