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les obsèques de Beowulf, au cours desquelles pourtant le nom des dieux païens n’est pas une seule fois prononcé, se rapprochent des cérémonies du paganisme, des funérailles d’Achille dans l’Iliade et de celles du roi des Huns, Attila, à l’époque de l’invasion des barbares qui se partagèrent les débris de l’empire romain. Il plane en effet sur la fin de l’œuvre épique comme une atmosphère de temps préhistoriques que toute la vigilance du diascévaste définitif n’a pas pu dissiper.

En vue d’expliquer cet ensemble de récits légendaires, l’on eut recours, au siècle dernier, à la théorie des mythes naturels. Le Beowulf, pour la plupart des critiques qui cherchèrent à en comprendre les procédés de composition, proviendrait simplement d’une série de symboles fort anciens exprimant sous une forme imagée la lutte victorieuse du printemps contre les frimas hivernaux et plus tard le retour offensif du froid auquel, malgré son charme et sa force, l’automne doit succomber. À quelques détails près, c’est là presque toujours l’interprétation classique du sujet de la première épopée anglo-saxonne, et Gr. Sarrazin l’adopte également à la fin de l’étude savante qu’il en a faite dans ses Beowulfstudien[1]. L’inconvénient de cette méthode d’exégèse, mise en vogue pour les poèmes primitifs par le sanscritiste Max Muller, c’est de s’adapter indifféremment à des œuvres quelconques et de se prêter aux combinaisons les plus invraisemblables. On prétend s’en servir comme d’une clef passe-partout pour les ouvrages les plus divers d’esprit et de facture. Mais on ne prouve rien en voulant trop prouver, et les solutions universelles deviennent suspectes par leur universalité même. Aussi nous parait-il plus plausible d’admettre, avec le critique Panzer[2], que, loin d’être un pur mythe solaire, le Beowulf se rattache au folklore primitif si répandu chez les peuples à demi-civilisés. Le héros relèverait alors non d’un symbolisme vague et enfantin, mais d’une de ces vieilles légendes déjà en faveur avant la naissance de l’histoire proprement dite et qui se retrouvent dans les contes de Perrault et dans d’autres récits populaires. Il appartiendrait à la catégorie bien connue des dompteurs de bêtes monstrueuses qui, dédaignés pendant leur jeunesse, se révèlent plus tard au monde étonné avec le prestige d’une vigueur surhumaine et d’une sagesse merveilleuse et grâce à des coups d’éclat qui confondent leurs détracteurs. En d’autres termes, il fait partie de la lignée de l’Hercule grec qui abattit l’hydre de Lerne, de Persée vainqueur de Méduse et sauveur d’Andromède, de Saint Georges de Cappadoce qui transperça le dragon, et se rapprocherait enfin de ce Jean l’Ours — le nom d’ours n’a-t-il pas été proposé comme la traduction exacte du nom de Beowulf ? — dont ma mère l’Oie et ses émules vantaient les

  1. Gr. Sarrazin, Beowulfstudien, Berlin, 1888.
  2. Voir F. Panzer, Studien zur germanischen Sagengeschichte, I. Beowulf, Munich, 1910.