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que son développement logique et calme, ses sages aphorismes et ses appels à la réflexion semblent réclamer soit un jongleur récitant l’ouvrage en plusieurs séances consécutives après une étude qu’il en ferait à tête reposée, soit un lecteur parcourant un manuscrit pour son seul plaisir.


Les éléments païens du “Beowulf”


Quant à la trame même de l’épopée, elle comporte un singulier mélange d’apports bien différents par leur âge et leur nature. Les plus anciens remontent à une époque fort reculée et incontestablement païenne. Pour qui les considère d’un peu près, ils rappellent les conditions dont Tacite parle dans le De Moribus Germanorum comme prévalant chez les Teutons au premier siècle de notre ère. L’on y retrouve en effet, tant chez les Géates que chez les Frisons, la coutume de l’incinération des morts, qui cessa plus tard après un contact assez prolongé avec les Romains et dès avant l’introduction du christianisme. Ce changement, du reste, semble s’annoncer dans le Beowulf car l’ancêtre des rois danois, dont les obsèques navales ouvrent le poème, est simplement livré aux flots sur un navire chargé de trésors, sans que l’embarcation soit au préalable incendiée, et jamais il n’y est question de bûchers funéraires au Danemark, d’où cet usage préhistorique paraît avoir déjà disparu. Un autre détail conforme à ce que rapporte l’historien latin est l’étroit lien de parenté existant entre un oncle et le fils de sa sœur, curieux vestige d’un état de choses où l’héritage se transmettait dans la ligne de descendance féminine et où une femme, qui était de droit prêtresse de la divinité nationale, exerçait une réelle souveraineté sur toute la tribu. Voilà qui explique les rapports existant entre le roi Hrothgar et son neveu Hrothulf, à qui Wealtheow recommande ses deux jeunes fils au cas où le père et la mère viendraient à leur être enlevés. C’est aussi ce qui justifie la reine Hygd, quand, à la mort d’Hygelac, elle offre le trône à Beowulf, au détriment d’Heardred, que son cousin se refuse à évincer. Et c’est là peut-être la raison première et atavique du rôle prestigieux joué par les femmes dans la société que nous dépeint le scop.

Par contre, si la préhistoire se continue en certaines coutumes que décrit l’œuvre épique, le paganisme lui-même ne se manifeste dans le Beowulf que par des traces parfois difficiles à reconnaître. Il est évident que le rédacteur anglo-saxon ou bien ne s’en est pas douté ou qu’il a pris soin de le dissimuler, ce qui s’accorderait d’ailleurs avec cette teinture de christianisme qu’il s’est efforcé de donner à l’ensemble. Mais les débris épars des vieilles croyances païennes n’en sont que plus significatifs et que plus précieux à recueillir pour qui veut s’assurer de l’antiquité des traditions à la base des sagas dont l’auteur définitif s’est inspiré. L’un des plus