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HISTOIRE D’UNE JEUNE CRÉOLE.

vant se résoudre à la laisser s’éloigner d’un pas. Par intervalles, un soupir, un sanglot, s’échappait du groupe des nègres violemment émus par cette scène navrante. Enfin, M. de Lorme appela Yette d’une voix qu’il rendait sévère pour qu’on ne s’aperçût pas qu’elle était altérée ; aussitôt, l’étreinte de la pauvre mère se desserra docilement. Il n’y eut pas un seul mot échangé entre elle et son enfant ; ni l’une ni l’autre n’eût osé articuler une parole, dans la crainte de perdre le fruit de cette victoire si péniblement remportée sur elles-mêmes.

« Yette ! » répéta le père.

Un dernier baiser à sa mère défaillante, un geste affectueux de la main aux gens qui s’empressaient autour d’elle avec des souhaits de bon voyage, un baiser, jeté dans la direction de la chambre de Cora, et Yette se laissa porter dans le hamac plutôt qu’elle n’y monta. Le silence était lugubre, on eût entendu voler une mouche ; l’heure mélancolique et solennelle ajoutait à la tristesse de ces mornes adieux. Il faisait un clair de lune tel que les Européens ne peuvent se le figurer, car, entre leur lune blafarde et celle-là, il y a la même différence qu’entre le soleil des tropiques et celui du Nord. La caravane se mit en marche,